L’arnaque de la résilience
Nous voilà en route pour une 6ème édition du WeToo Festival. Nous sommes très fières de cette longévité, car oui 6 ans pour un festival c’est le début de la maturité, tellement nombreux sont ceux qui ne dépassent pas les 5 ans.
On grandit, on gagne en savoir-faire, en réseau, en compétences, en influence mais pour autant les difficultés rencontrées sont réelles et tangibles. Cette année, c’est une baisse de 114 millions d’euros qui touche l’ensemble du budget de la culture.
Au WeToo Festival, nous avons fait le choix d’une production hybride. C’est-à-dire qu’elle repose à la fois sur nos recettes propres – la billetterie principalement, que nous souhaitons garder le plus possible accessible – et les subventions publiques.
Quand une crise politique survient, nous sommes impactées directement. Les dotations de l’état baisse ? Les villes sont en faillite ? C’est une journée de festival en moins. La conséquence est immédiate. Les structures associatives et culturelles ne peuvent plus pallier le désengagement de l’état par leur travail militant, bénévole ou sous-payé.
Nous avons donc été contraintes cette année de ne pas reconduire la journée « WeToo Récréation » qui devait se dérouler à Pantin le mercredi précédent ce week-end de fête. C’est plusieurs années de travail sur le territoire, de maillage, de sensibilisation, que nous mettons en pause. C’est près de 300 personnes qui n’auront pas accès chez elles, dans leur quartier, à une offre de spectacles, d'ateliers, de concerts pour porter une réflexion sensible sur le féminisme.
Les décisions politiques de dirigeant·es bien loti·es dans des bureaux dorés ont des conséquences directes sur nos vies. Nous ne participerons plus à l’effort de crise. Nous avons déjà assez donné. Nous ne ferons pas acte de résilience, comme notre chef de l’état nous l’a si promptement injonctionné lors de la crise du covid.
Parce qu’en ce moment, avec notre crew de féministes, on a un peu l’impression de se faire arnaquer avec cette histoire de résilience…
« Fais acte de résilience et tu créeras un beau spectacle »
« Ta résilience te fera écrire un best-seller »
« Ton trauma va t’emmener là où tu n’imaginais pas aller »
« Ton trauma va te faire grandir »
« Transforme ton trauma en or et ta vie va changer »
« Il faut souffrir un peu pour bien créer »
Oui nos vies changent à la suite d’agression, de violences, de harcèlement, de viols.
Nos traumas nous empêchent de dormir, de manger, de penser, de travailler.
Ils entrent par effraction dans nos vies et transforment notre trajectoire.
Nos traumas nous traumatisent c’est tout.
Ils nous coûtent.
Ils nous coûtent notre couple, notre famille, notre santé mentale, notre argent en séance chez le psy ou en procédures judiciaires.
Il coûte en image de soi, en image publique, en image sociale.
En plus de gérer ces événements terribles et injustes dont de nombreuses femmes et personnes minorisées sont encore victimes, il faudrait faire preuve de résilience créative…
Etre agressée ne fera jamais un beau spectacle. Les femmes font de beaux spectacles – qui parfois mettent en scène ce qu’elles ont vécu de plus tragique – parce qu’elles sont des génies survivantes. Parce qu’elles ont appris depuis leur plus tendre enfance à se relever des coups, à serrer les dents, à mordre la poussière et à relever la tête.
Et par la réciproque, maltraiter une femme ne fera jamais un beau film. Il faut en finir avec le génie créateur et surpuissant qui, pour tirer la justesse profonde de son art, maltraite ses actrices et ses techniciennes.
Non la domination n’est pas de l’art. C’est juste de la domination.
Non la violence n’est pas de l’art. C’est juste de la violence.
Nous ne choisissons pas la résilience comme retour à l’état initial, avant l’irruption de la violence, mais comme reprise de la croissance, reconduite d’un chemin propre, singulier, bienfaisant, pacifique. Qui ne fait pas l’économie de la reconnaissance du système de domination qui nous sociabilise, ni de notre détermination à l’éradiquer.
La commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur les violences commises dans le secteur culturel et médiatique a rendu son rapport et fait état d’un terrifiant système à broyer les talents pour faire perdurer la domination patriarcale.
Parce que le WeToo Festival est aussi là pour poser les jalons d’un monde meilleur, alors voici notre projet pour demain.
Nous rêvons de ce moment où nous ne recevrons plus de propositions de spectacles tirés d’une histoire vraie pour raconter l’inceste, le viol, l’emprise. Nous rêvons de ce monde où nous ne verrons plus d’œuvre empreinte de culture du viol, de male gaze, et où se lit la souffrance d’une actrice maltraitée sur un plateau. Nous rêvons d’une culture bienveillante, joyeuse, sorore. La culture du viol a assez duré, et assez infusé en nous une inversion des valeurs au profit de ceux qui en abusent, et qui la nie.
Vous pensez que ça ne fera pas de bons scénario, de bonnes pièces ou de bons romans ? Vous pensez que ce sera naïf et ennuyeux ? Pas assez intense ?
Regardez-nous au WeToo Festival… Cela fait 6 ans que l’on tisse une histoire empreinte d’Amour comme choix politique, que l’on rencontre une multitude d’artistes, de bénévoles, de technicien·nes, de graphistes, de webmasteuse, de responsables du marché, de créateurices, d’associations avec qui l’on construit des liens vitalisants.
Ce gang-là a une histoire incroyable à vous faire vivre.
Et vous en faites déjà partie !